Le premier mécanisme de prévention que la loi met à la disposition des sociétés immobilières trouve son fondement dans l’article 14 al.1. En effet, il dispose que «  le prix de la vente d’un bien immobilier, dont le montant est égal ou supérieur à un seuil fixé par l’autorité compétente, ne peut-être acquitté qu’au moyen de virement ou d’un chèque ». Il en résulte pour les sociétés immobilières dans le cadre de cette mesure de refuser les paiements en espèces dans les transactions immobilières d’un certain montant déterminé par l’autorité. Pour de telles opérations, seul le virement bancaire ou le paiement par chèque est autorisé. Cette mesure a un avantage certain. Elle permet à la banque en cas de dépôt dont le montant des opérations semble inhabituel d’informer en vertu de son obligation de déclaration de soupçon, la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF). Cette cellule pourra ainsi au regard du traitement des informations, les transmettre à l’autorité de contrôle.
Le second mécanisme de prévention contre le blanchiment de capitaux et le financement de terrorisme que la loi nationale en la matière met à la disposition des sociétés immobilières consiste à une obligation d’action. Il s’agit pour ces sociétés de satisfaire à des obligations de vigilance à l’égard de leur clientèle en plusieurs étapes. D’abord, les sociétés immobilières en tant que personnes assujetties à l’obligation de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement de terrorisme (Article 5 de la loi 016-2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), doivent satisfaire à des conditions préalables avant toute entrée en relation d’affaires avec la clientèle. Il s’agira concrètement pour elles d’identifier le client et le cas échéant, le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires par des moyens adaptés et de vérifier ces éléments d’identification sur présentation de tout document écrit fiable. Elles doivent par ailleurs identifier leurs clients occasionnels lorsqu’elles soupçonnent que l’opération pourrait participer au blanchiment de capitaux et au financement de terrorisme, lorsqu’elle est d’une certaine nature ou dépasse un certain montant. Ensuite, il incombe aux sociétés immobilières de maintenir une vigilance constante sur leurs relations d’affaires tel qu’il ressort de l’article 19 de la loi sus-citée. De façon pratique, ces sociétés doivent mettre à jour les éléments d’informations recueillies, les analyser afin de connaître la nature et l’objet de la relation d’affaires, de mieux connaître le client et d’évaluer convenablement le risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Aussi, les sociétés immobilières doivent rester constamment vigilantes sur toutes les opérations de leur clientèle conformément à l’article 20 de la loi 016-2016 relative à cette lutte. A cet effet, elles ont l’obligation de s’assurer que les opérations effectuées par la clientèle sont conformes aux informations qu’elles ont recueillies d’elle. Dans l’hypothèse où les sociétés immobilières entretiennent des relations d’affaires ou exécutent des obligations pour un client qui n’est pas physiquement présent (situation des relations d’affaires à distance), elles doivent s’évertuer à prendre des dispositions particulières et suffisantes pour prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme tel qu’il en résulte de l’article 21 de la loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Enfin, sur le fondement de l’article 25 de la loi ci-dessus indiquée, toute personne qui réalise, contrôle ou conseille des opérations immobilières doit accompagner et suivre le processus d’identification des clients, lorsqu’elle intervient dans des opérations d’achat ou de vente de biens immobiliers.
La troisième mesure préventive consiste pour les sociétés immobilières à activer leur droit d’alerte. Dans ce sens, l’article 79 de la loi 016-2016 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme exige des personnes assujetties à l’obligation de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et partant des sociétés immobilières, de déclarer à la CENTIF les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations qui portent sur des sommes dont elles soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’infractions de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Il s’agit en fait de satisfaire à leur obligation de déclaration de soupçon. La satisfaction de cette obligation permet ainsi aux sociétés immobilières de tirer sur la sonnette d’alarme afin de permettre à l’autorité compétente de prendre les mesures idoines qui s’imposent pour éviter la consommation de l’infraction.

Ces différentes mesures de prévention édictées par le droit positif en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme s’érigent en des obligations pour les personnes assujetties. Dès lors, il convient de se demander ce que peuvent encourir les dirigeants sociaux de ces sociétés immobilières en cas de manquement à ces obligations si de tels manquements sont commis afin d’en tirer personnellement profit ? Au cas où, les manquements des dirigeants sociaux avaient pour finalité de faire bénéficier ou de laisser commettre ces infractions au compte des sociétés immobilières et dans leur intérêt, quelle peut-être leur responsabilité en leur qualité de personne morale ?

Au regard du droit positif, des sanctions peuvent être prononcées. Ces sanctions peuvent être exposées suivant que ces manquements interviennent dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux ou contre le financement du terrorisme et suivant qu’ils (manquements) ont été commis pour le seul intérêt des organes sociaux ou dans l’intérêt des sociétés immobilières elles même. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux, l’article 116 de la loi 016-2016 y relative en son point 7 dispose que sont punis d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de cent mille (100.000) francs CFA à un million cinq cent mille (1.500.000) francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, les personnes et dirigeants ou préposés des personnes physiques ou morales assujetties à l’obligation de lutte contre le blanchiment de capitaux et donc les sociétés immobilières, qui auront intentionnellement omis de procéder à la déclaration de soupçon alors même que les circonstances amenaient à déduire que les sommes pouvaient provenir d’une infraction de blanchiment de capitaux. Lorsque ces personnes ont de manière non intentionnelle omis de faire la déclaration de soupçon ou contrevenu aux obligations de vigilance, l’amende est de cinquante mille (50.000) à sept cent cinquante mille (750.000) francs CFA. Lorsque l’infraction de blanchiment de capitaux a été commise pour le compte ou au bénéfice de la société immobilière par l’un de ses organes ou représentants qui se seraient abstenus à cette fin d’activer les mesures préventives, l’article 125 de la loi 016-2016 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme punie la personne morale concernée d’une amende d’un taux égal au quintuple de celles encourues par les personnes physiques. Par ailleurs, les sociétés immobilières dans cette situation, pourront faire l’objet d’un placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq ans au plus conformément au point 3 de l’article précité. Elles pourront en outre aux termes du point 4 du même article faire l’objet d’une interdiction à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus d’exercer directement ou indirectement l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.

En matière de lutte contre le financement du terrorisme, l’article 121 point 7 punit d’un emprisonnement de douze mois à quatre ans et d’une amende de deux cent mille (200.000) francs à trois millions (3.000.000) de francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement, les personnes et dirigeants ou préposés des personnes physiques ou morales assujetties à l’obligation de lutte contre le financement du terrorisme et qui auront intentionnellement omis de procéder à la déclaration de soupçon alors même que les circonstances amenaient à déduire que les fonds pourraient être liés, associés ou destinés, ou à être utilisés à des fins de financement du terrorisme. En cas d’omission involontaire à l’obligation de déclaration de soupçon et aux obligations de vigilance, ces personnes sont passibles d’une peine d’amende de cinq cent mille (500.000) francs à un million cinq cent mille (1.500.000) francs CFA.

Les sociétés immobilières en tant que personnes morales au compte ou au bénéfice desquelles, ces personnes se seraient abstenues de satisfaire aux obligations liées à la lutte contre le financement du terrorisme et qui, de ce fait ont permis la réalisation de l’infraction sont punies d’une amende d’un taux égal au quintuple de celles encourues par les personnes physiques tel qu’il en résulte de l’article 125 de la loi 016-2016. Elles peuvent par ailleurs et conformément au point 3 de l’article 125 de cette loi, faire l’objet d’un placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq ans au plus. L’interdiction d’exercer l’activité à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise peut être également définitive ou pour une durée de dix ans au plus conformément au point 4 du même article.

En définitive, au regard du dispositif juridique national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, les sociétés immobilières disposent de véritables moyens de prévention de ces infractions. Elles sont donc invitées à prendre d’abord conscience qu’elles peuvent être utilisées par des personnes mal intentionnées pour commettre ces infractions. Ensuite, elles sont invitées à prendre conscience de l’obligation qui est la leur de contribuer significativement à prévenir la commission des infractions de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

DABIRE P. Sosthène Edgar

Juriste Droit privé

Crédit photo: pixel et pixabay

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